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UN SAINT PAS ASSEZ HONORE
Avec la suffisance qui me caractérise, je n’ai pas
l’habitude de faire mon mea culpa, surtout en présence de mes aimables lecteurs
face auxquels je m’efforce de sauver les meubles de ma réputation. Pourtant, il
me faut aujourd’hui vous confesser que, bien malgré moi je vous l’accorde, ma
piété n’a pas toujours été exemplaire. Durant mon enfance, une fois stoïquement
avalé le dîner obligatoire, je me complaisais en délicieux espoirs à la
perspective du dessert qui allait récompenser mon martyre vespéral. Crème,
glace, crêpes ou tarte allaient certainement succéder aux tristes aliments
qu’on m’avait fait ingurgiter à coups de pilon, comme on eût fait à un oison
pas consentant. « Qu’est-ce qu’il y a pour le dessert ? »
serinais-je avec un optimisme tout enfantin. « Un Saint-Honoré »
m’entendais-je répondre 7 jours sur 8. Traduction : yaourt. Dans cette
famille où seules ma sœur et moi étions des suikerbeks*, ce dessert modeste et
frugal semblait aller de soi. Imaginez alors les rêves délirants qui, pendant
des années, firent saliver comme les chutes du Niagara les fillettes
glycomanes. Du Saint-Honoré, on n’avait jamais vu ça. Mais, pour qu’on nous le
cite comme Référence Universelle, il devait s’agir du gâteau le plus mirifique
sur Terre – le mystère étant aiguillonné par le fait que cette pâtisserie
franco-française n’existait guère à l’époque qu’au pays de la baguette et du
camembert; alors, vous pensez, au Japon, en Chine, USA ou Bangladesh...vous rêviez en couleurs...Auréolé du jamais vu, le
somptueux péché de gourmandise revêtit pendant des années des aspects de Jardin
d’Eden mâtiné de Verger des Hespérides. Je peux vous assurer que, contrairement
aux prophéties de tristes sires qui proclament que fantasme est toujours déçu
par réalité, le jour où, mon enfance ayant mis les voiles depuis belle lurette,
je pus enfin déguster cet affriolant dessert, je fus propulsée fissa au
septième Nirvana. Alors, je demande pardon à Saint Honoré si, à mon estomac
défendant, je ne lui ai pas fait mes dévotions durant mes tendres années.
Négociant mon rachat par mon zèle gourmand teinté de prosélytisme tentateur, je
vous conjure de vous adonner, comme moi, à sa dégustation, à la Saint Honoré,
Patron des boulangers, le 16 mai prochain. Je vous entends déjà pleurer de
tendresse « âââh, c’est-y qu’elle avait raison, la tante Juju, une fois de
plus ! ».
P.S. pensez tout de même à le commander, pour éviter le
risque de ne quitter la pâtisserie qu’avec un modeste éclair…
GOLIATH DES GÂTEAUX
Caractéristique qui ajoute à la gourmandise du Saint –Honoré :
il est toujours volumineux, même en portion individuelle. Pâte feuilletée
(originellement, brisée), couronne de pâte à choux surmontée de petits choux
collés au caramel, avalanche de crème chiboust (crème pâtissière collée à la
gélatine et montée aux blancs d’œuf en neige) et souvent encanaillé de
chantilly, ses nombreuses composantes en font une montagne de plaisir qui
cachera le motif de votre assiette. Alors, mangez-le au goûter ou ne le faites
pas précéder d’un cassoulet toulousain ou d’un stoemp**- saucisses.
Bonne fille, malgré son usurpation à l’avènement de Saint
Honoré et son invasion quasi quotidienne de ma cuiller toute mon enfance, je ne me suis jamais
lassée du yaourt. Pourquoi ne pas réconcilier le sobre bulgare et le saint
décadent en un dessert gourmand tempéré d’une note acidulée bienvenue au milieu
des volutes de crème et de caramel ? Cuisez un disque de pâte feuilletée
toute prête, collez sur le pourtour des petits choux du pâtissier avec du
caramel puis garnissez le centre d’une mousse réalisée avec 1/3 de yaourt entier
égoutté dans une passoire, 1/3 de chantilly et 1/3 de blancs en neige, le tout
sucré à votre goût; et, pourquoi pas, quelques fruits rouges. Dégustez fissa parce que cette garniture délicate ne « tient »
pas longtemps. Alors, faites-vous violence (hum !).
* néerlandais pour « bec sucré »
** écrasée (du
néerlandais « stampen », pilonner) de pommes de terre et légumes
cuits, avec une belle dose de beurre, et comme si cela ne suffisait pas on l’accompagne
généralement d’une viande (saucisse, côtelette, tranches de lard) voire d’œufs sur
le plat…
Publié dans Le
Vif-Weekend en mai 2010 (www.levifweekend.be)