GOLDEN GIRL
Quoi ? ELLE espère se faire pardonner son
absence tout l’été en nous parlant de pommes ? De bêtes pommes ?
Comme je vous comprends…chez ma grand-mère, il y
avait une corbeille de fruits où somnolait sempiternellement un invariable
(désolée pour le pléonasme, mais ici il s’impose) trio de bananes, oranges et
pommes golden immanquablement fripées car personne ne voulait de ces dernières,
ce qui n’empêchait pas mon aïeule opiniâtre d’en racheter sans cesse. A ce
triste souvenir, pendant de longues années j’ai snobé sur les étals ces
pommasses jaunasses fadasses pour me ruer sur ses vertes et rouges collègues.
Mais voilà, ce que je ne savais pas, c’est qu’il existe golden et golden !
A mille lieues de notre insipide ictère dont la peau cireuse et collante
inflige une morsure astringente pour dévoiler ensuite une chair sans la moindre
séduction, même pas sucrée à défaut d’être goûteuse, il y a la golden à galons,
celle qui s’est doré la pilule dans les vergers montagneux du Pilat et du
Limousin, avec à leur sommet trois reines capiteuses : la Golden Rosée, la
Chantecler (un hybride de golden et d’autres variétés) et la si bien nommée
Tentation – je gage que c’est cette pomme-là qu’Eve la futée tendit à Adam le
gourmand, la preuve, c’est que les Grecs entérinent la chose avec les pommes du
Jardin des Hespérides qui, ni rouges ni vertes, sont d’or. Ces trois divas
ressemblent autant à notre vieille balle de tennis qui a fait vingt fois
Roland-Garros, que votre pauvre servante à la blonde Scarlett Johansson. Beauté
extérieure et bonté intérieure, elles prodiguent au palais un croquant juteux
parfaitement équilibré entre acidulé et
sucre, reproduisant à l’identique la sensation de perdition exquise
qu’ont dû éprouver nos deux Pécheurs Originels, nous faisant cent mille fois bénir
leur culottée transgression qui, à défaut de l’insouciance et de la richesse,
nous aura fait connaître le Plaisir.
LA CREME DES POMMES
Atout supplémentaire, la
golden est à peu près la seule pomme que la cuisson ne transforme pas en
bouillie. Si pour les compotes, tartes et cakes toutes les variétés
conviennent, réservez la golden aux poêlées en quartiers (pour accompagner un
rôti, un gibier, du boudin…) ou alors à cette merveilleuse recette familiale de
ma grand-mère, recette qui rachète sa corbeille déprimante et qui fait partie
de ces régals vieillots et trop simplets pour qu’on les trouve au
restaurant : les pommes à la crème. Pour 4, pelez 6 golden, coupez-les en
2 transversalement et ôtez le cœur. Pochez-les environ 10-15 min dans un sirop
léger (200 g de sucre pour 1 l d’eau) jusqu’à ce qu’elles soient translucides.
Egouttez et disposez en 1 seule couche dans un compotier. Faites réduire et
caraméliser le sirop, versez sur les pommes. Préparez avec 1 l de lait entier
(au lieu de 75 cl) 1 sachet de crème vanille, vous savez, cette bonne poudre
qui s’achète toute prête, se prépare à chaud et qui devient joliment jaune une fois délayée dans le lait.
Nappez-en les pommes, servez très frais. Bien sûr, rien ne vous empêche de
faire une vraie crème pâtissière ou si, à l’opposé, vous avez dans la main un
poil plus long que la barbiche d’un mandarin à la retraite, d’utiliser un pot
de bon pudding-vanille tout prêt.
SUNT NOBIS MITIA POMA
« Nous avons des fruits
mûrs » : les Latins l’avaient déjà compris, qui regroupaient sous le
nom générique de « pomme » tous les fruits confondus. Car quel fruit
est plus symbolique, plus exemplatif, du moins sous nos latitudes? Compagne de
nos dix-heures à la récré, pause-douceur au bureau, petit plaisir juteux et
sans conséquence pour la ligne que vous croquez dans votre fauteuil en
feuilletant votre hebdo favori (subtile, non,
l’allusion ?!), la pomme est aux autres fruits ce que l’humanité
est à l’être humain : un universal. Oh là, mais c’est qu’elle nous bassine
avec sa philosophie à deux balles, déjà qu’elle nous en remet une deuxième
couche, de pomme, depuis la semaine dernière! On est encore en été, pardi,
pourquoi nous balance-t-elle déjà un fruit d’automne, elle veut nous coller la
déprime ou quoi ?…que nenni, mes bretelles ne méritent pas que vous les
remontiez, et ce au moins pour 2 raisons : d’abord, oubliez-vous les
exquises pommes d’août, ces petites joufflues d’un jaune-vert fluo à l’acidulé
irrésistible, croquées dans le verger ? Ensuite, votre fourmi prévoyante
espère vous aider à fourbir dès aujourd’hui vos armes pour l’avalanche sucrée
et croquante qui, dans quelques semaines, va débouler sur vos étals ou peupler
votre jardin comme un squat bondé. Me rappelant en effet les
« doléances » d’une amie dont l’arbre fournissait tant de fruits
qu’elle n’avait plus d’imagination après avoir réalisé tartes, crêpes,
charlottes, compotes, cakes, gelées et j’en passe, je lui conseillai alors une
recette un peu en dehors des vergers battus : les pommes farcies
(ci-contre) à faire suivre, pour un repas « tout pomme » par la
charlotte de ma maman : superposez dans un plat à gratin beurré des
tranches de cramique beurrées sur les 2 faces (beurre salé si vous aimez),
tranches de pommes et cassonade, terminez par du cramique, passez 1 h à four
180° et servez brûlant avec, pourquoi pas, de la glace (vanille, lait
d’amandes) ou un sorbet … aux pommes.
IL FAUT SE LES FARCIR
Pour 4, lavez 8
pommes, coupez-leur un chapeau côté queue, évidez-les en éliminant le trognon (mais
sans percer le fond) et en ménageant une écorce d’environ 1 cm. Faites une
farce de 800 g de haché*, 100 g de pain passé à la moulinette, 2 CS d’oignon
haché, 1 œuf, 2 CS de persil ciselé puis ajoutez la chair des pommes coupée en
dés. Farcissez les pommes, remettez les chapeaux, posez dans un plat beurré ou
huilé et enfournez 45-60 min à 180-200°. Servez tel quel avec riz, quinoa ou
boulgour, que vous aromatiserez si vous le voulez d’un bâton de cannelle pour
un exotisme sans prise de risques ; ou alors, normandisez votre plat en
déglaçant les sucs avec 20 cl de cidre brut, 2 CS de vinaigre de cidre, 10 cl
de crème épaisse, sel et poivre. Comme je vous le disais la semaine dernière,
je vous conseille plutôt des golden car elles ne risqueront pas d’exploser à la
cuisson comme des grenades dégoupillées. Sinon, rassurez-vous, celles de votre
jardin conviendront, ce sera juste moins élégant mais non moins délicieux, car
bien sûr, vos pommes, ce sont les meilleures ! Enfin, pour taper sur un
clou déjà bien enfoncé, je vous rappelle que quelques dés de pommes crues
offrent toujours un merveilleux contraste avec toutes les salades amères -
pissenlits, frisée, et bien sûr nos chicons nationaux !
* pour les Français :
chair à saucisse (surtout pas du steak haché, trop maigre pour cette recette)
Ces 2 rubriques ont été publiées dans Le Vif-Weekend à 2 semaines d'intervalle pour la rentrée de septembre 2013 (www.levifweekend.be)