lundi 8 juillet 2013

TOUT CE QUE VOUS AVEZ TOUJOURS VOULU SAVOIR SUR LA BANANE...SANS JAMAIS OSER LE DEMANDER!

Suite à notre petit quiz bananesque au printemps dernier, nombre d'entre vous m'ont demandé des recettes de bananes. Comme promis, les voici ENFIN! C'est que, voyez-vous, je voulais faire précéder lesdites recettes d'une - très - ancienne rubrique publiée dans "Le Vif - Weekend", et que je ne retrouvais plus dans mes "archives" (pudiquement pléonastique euphémisme pour mon b...). Remis la patte dessus grâce à une personne beaucoup plus ordonnée que moi, voici le texte retranscrit, suivi de quelques recettes. La liste de celles-ci n'étant bien sûr pas du tout, mais alors là pas du tout exhaustive...

TOUT TOUT TOUT SUR LA BANANE…

Quelle mouche à miel me pique, cher lecteur, à m’entretenir avec vous d’un fruit qui nous est, à tous, autant familier que banal ? Je crois que c’est justement cette intimité nourricière qui me pousse à vous chanter gloire et déboires de ce fruit pour le moins controversé.
Commençons par éluder le chapitre sulfureux dû à sa morphologie suggestive : sur mon tablier y a écrit « Tante Juju » et pas « Dr Freud ».
Je pourrais continuer avec la version indienne du fruit défendu selon laquelle Eve aurait tendu une banane à Adam,  dont la gourmandise serait ici beaucoup plus plausible : qui n’a jamais goûté une de ces délectables petites bananes d’Asie du Sud-Est ignore le bonheur. Mais foin de religion, mon propos est ailleurs.
Vous l’aurez prévu, c’est en tant que gourmande que je veux mettre mon grain de sucre : comment ce fruit rigolo et futé (en cuisine, c’est un miracle d’adaptabilité) a-t-il pu être ravalé au rang d’insulte ? Je gage que cette ignominie n’est due qu’à basse et machiste jalousie, au même titre que « bécasse », oiseau si intelligent et rusé, évoque le plus improprement du monde « idiote ». La banane a ceci de particulier qu’elle est l’objet d’une constante polémique entre le bien et le mal…ouiiii, je sais, sur mon tablier… et pas « Nietzche » ! Mais voilà, selon l’époque et l’humeur des diététiciens, la pauvre banane est soit portée aux nues comme panacée, soit sabordée en règle comme engraisseuse de fesses sans nulle compensation au sentiment de bonne conscience. Sans prétendre être une scientifique de la question et au-delà des idées reçues,  je vous livre ci-dessous mes constatations empiriques, à vous d’en faire vos bananes grasses !

MISE AU POINT

La banane…
Vrai
…est particulièrement digeste. Malgré mes tentatives d’abus elles sont toujours passées comme une lettre à la poste.
…fait grossir. J’ai essayé. Vous voyez que je n’hésite pas à me sacrifier, martyre de la science et de l’info du lecteur. En plus, lorsqu’elle est très mûre et donc la meilleure, son index glycémique augmente à proportion de l’inflation galopante d’une république bananière d’Amérique Centrale.
Faux
…n’est ni constipante, ni laxative, simplement régulatrice du transit selon les besoins de votre corps.
…n’est pas bourrative. On l’imagine à cause de sa texture dense mais son taux de sucre et son absence d’acidité ont un goût de revenez-y apocalyptique, alors qu’une pomme surette et riche en pectine procure une satiété immédiate et plus durable.
Conclusion
Cette brave banane peut vous sauver la vie. Sa richesse exceptionnelle en potassium viendra compenser les pertes de votre corps après une déshydratation excessive (effort intense, sudation anarchique ou abus de diurétiques). Par ailleurs, elle est à la fois l’amie des dents par sa teneur en fluor et son absence d’acidité, mais aussi leur ennemie, toute sucrée qu’elle est. Bon, tout ça c’est bien joli mais l’essentiel, c’est que la banane est délicieuse et si amusante à cuisiner : sucrées, salées, ses recettes sont aussi nombreuses que les fruits d’une centaine de régimes…au moins !
Publié dans Le Vif-Weekend (www.levifweekend.be) …y a trèèèès longtemps




MES RECETTES BANANIERES

Procédons par ordre (chrono)logique : fruit du bébé par excellence et dessert à soi tout seul, voici d’abord quelques recettes sucrées :

La panade de quatre-heures

…qui bien entendu peut se déguster à pas d’heure !
pour un marmot de 1 à 99 ans (et, soyons large, au-delà) : écrasez une banane hyper-mûre avec le jus d’une ½ orange et 1 pomme golden (ou autre variété douce et sucrée) râpée. Liez l’ensemble avec environ 2 CS de biscuits « spécial bébé » (mais qu’évidemment nous mangeons tous) réduits en poudre : biscuits à panade,  mais aussi petits-beurre ou enfin, pour bébés bretons, sablés au beurre salé…

Le milk-shake de mon enfance

…que ma maman nous faisait à la minute dans son blender vintage look fifties : verser dans le pichet mixeur du lait entier bien glacé et ajouter des bananes mûres en morceaux (et, facultatif, d’autres fruits comme morceaux de pomme, poires, en fait ce que vous avez sous la main). Mixer et sucrer selon le goût. Un pichet d’environ 1 l de préparation devrait satisfaire 4 (grands) marmots assoiffés. Version dessert gourmand, ajoutez 4 boules de glace vanille avant de mixer.

Les bananes flambées

Ordre chronologique,  vous disais-je ? A ma grande honte, oui, car toutes proportions gardées j’étais une sacrée pochetronne dans mon enfance. Rassurez-vous, je me suis drastiquement assagie depuis ; il en demeure cependant un amour et aussi quelques recommandations dues à l’expérience pour ce dessert si facile et qui en jette :

a.     simplicité, simplicité : bananes mûres, beurre, sucre de canne blanc ou roux, rhum ambré (réservez le blanc pour vos cocktails).  Evitez ici le citron qui dénature ce dessert (et pourtant, c’est une fan de citron qui vous parle !).
b.     prudence ! Avant de commencer, assurez-vous d’avoir un couvercle parfaitement assujetti à votre poêle (sinon j’aurai votre assurance-incendie sur le dos, merci bien !)
c.      Par personne, poêlez brièvement dans 1 noix de beurre 1 banane tranchée en 2 horizontalement, sucrez (environ 1 CS), laissez quelque peu caraméliser (ça va vite !), versez un trait (j’ai dit un trait, pas un jerrycan) de rhum ambré, flambez avec circonspection en muselant le petit pyromane qui sommeille en chacun de nous  et éteignez à l’aide du couvercle. Servez aussitôt dans des assiettes creuses
d.     Facultatif mais irrésistible chaud-froid vaudou : ajoutez une boule de glace vanille ou banane, ou une coupelle de sorbet, de préférence aux fruits dits « exotiques » du même terroir (ananas, mangue, passion… euh, non, je ne crois pas que la mûre laponne appartienne exactement à la même région)
e.     Enfin, adaptez : version thaï, remplacez le rhum par du mékong et servez avec de la glace coco



Glace maison hyper pas chère rapide fastoche trop bonne

Mixez 400 g net de chair de banane (environ 4) avec le jus d’1/2 citron (ici, nécessaire pour que cette glace, plutôt riche, ne soit pas écoeurante ; mais pas plus pour qu’on ne décèle pas sa saveur acidulée qui gâche la banane la plus conciliante), 1 boîte de 397 g de lait concentré sucré et 200 g de crème épaisse « à la française » c’est-à-dire ensemencée et donc légèrement acide. Pour les Belges et Luxembourgeois, utilisez de la sour cream, pour les Québécois crème sure, pour les Russes de la smetana et pour les Aléoutes de la graisse de phoque pasteurisée. Versez en sorbetière OU, à défaut, mixez énergiquement votre glace toutes les 30 min pour éviter la formation de cristaux

La tartine de mon amie congolaise Henriette

De la banane bien mûre écrasée avec du sucre et étalée sur une tranche de votre pain préféré et tout frais. C’est tout !

Dans sa robe

Déposez-la tout simplement, non pelée :
-       sur la grille du barbecue (environ 5 min par face)
-       emballée dans de l’alu sous la cendre (15-20 min)
-       sur la grille du four préchauffé à 225-250° 10-15 min)
-       1 à 2 min au micro-ondes
facile, mais dans tous les cas de figure GAFFE aux explosions ! Donc, RESTEZ A CÔTE, c’est pas le moment de téléphoner, de regarder votre feuilleton préféré, vous plonger dans votre roman de plage de l’été ou vous esbigner au petit coin avec un magazine people. Une banane entière, au même titre que tous fruits et légumes cuits dans leur peau comme aubergines, pommes de terre, pommes-fruits etc sont des mines antipersonnel en puissance. Truc pratique mais pas 100% infaillible, faites une mini-entaille dans la peau, mais alors attention aux fuites de chair et de jus…
Dans l’assiette, fendez le fruit noirci et dégustez la chair fondante à la petite cuiller, toute nue (la chair, pas vous) ou agrémentée de sucre, crème, glace… ou alors en accompagnement de viandes ou volailles au barbecue

Les profiteroles créées pour mon cousin Christophe…

…qui est un dingue de bananes : incorporez une banane mûre mixée avec quelques gouttes de jus de citron et sucrée à votre chantilly et garnissez-en vos choux (ou, en France, essayez avec des chouquettes). Ajoutez un peu de banane mixée à votre glaçage maison (sucre glace+banane) ou à votre fondant blanc (en boutiques spécial pâtisserie ou dans certaines grandes surfaces) et glacez le dessus de vos choux. Plus facile, servez avec un coulis de banane (banane, sucre et qq gouttes de citron) ou une classique sauce au chocolat chaud, ce dernier et la banane étant des potes de toujours.

ET ENFIN,  il vous reste les salades de fruits, beignets, tartes et pies,  cakes, cheesecakes (cuits ou à froid), crèmes (brûlées ou non), flans, gratins, fondues sucrées (chocolat fondu ou caramel au beurre salé servis chauds), crumbles, croque-monsieur (brioché ou non),  soufflés chauds ou glacés, charlottes chaudes ou froides, crêpes, entremets de riz ou de semoule, confiture… la banane s’accorde avec à peu près tous les grands classiques ; en fait, je me suis toujours demandé avec quoi la banane n’allait PAS… (tant que je ne me pose que cela comme question existentielle, c’est que ma foi tout va bien, madame la banane !)



ET EN VERSION SALEE ?

A.CRUE

En rondelles ou dés dans toutes sortes de salades. Cette fois, je vous conseille de la citronner pour qu’elle ne brunisse pas ; pas de problème d’acidité ici puisqu’une salade est presque toujours assaisonnée d’une sauce acide, que celui-ci soit sous forme de vinaigre ou de jus d’agrume, ou encore de moutarde, verjus…et, oui, chers compatriotes belges, même la mayo est « acide » (toutes proportions gardées).  Parmi mes suggestions absolument pas exhaustives, salades de riz avec dés de jambon et/ou de volaille, ou version marine avec crevettes/thon/saumon poché ou fumé… dés de céleri-branche, tomates-cerises, autres fruits comme pomme ou melon, raisins, quartiers de mandarines ou pamplemousses pelés à vif…fruits secs (raisins, dattes, figues… et/ou oléagineux (noix, noisettes, ou les plus « exotiques » (pour autant que de nos jours on puisse encore les qualifier ainsi) macadamias, Brésil, cajou ou arachides… et pour les épices, la banane adore le…poivre noir. Pensez aussi à la coriandre, la poudre de curry ou l’une ou l’autre des composantes de celui-ci… Salez au gomasio (sel au sésame torréfié), si vous l’aimez.
Elle offre également un agréable contraste ainsi qu’un bon éteignoir-de-feu, servie en rondelles dans une coupelle pour accompagner les plats chauds très pimentés,  antillais, latino-américains,  africains, du sud-est asiatique…

B. CUITE

Poêlée (au beurre, à l’huile ; ou même dans le déglaçage de lardons fumés), avec des viandes grillées, rôties ou poêlées, mais aussi poissons. Notre banane aime bien les chairs un peu grasses : canard ou oie ; côtelettes d’agneau, travers de porc caramélisés, ailerons de poulet, « steaks » de jambon cuit ; saumon…
Ajoutée en dés dans nos pseudo-currys à l’occidentale (bon, pas très orthodoxe, ni au Bangladesh ni en Inde ni en Thaîlande, Birmanie ou Laos je n’ai jamais vu ça…mais tant pis pour les puristo-traditionnalistes…c’est bon !)

Ma recette ringarde-iconoclaste années 80

…vous voilà prévenus ! Testée avec des amis, c’est délicieux, alors comme on dit, « c’est vous qui voyez » :

Poêlez sans ajout de matière grasse dans une poêle antiadhésive chauffée des escalopes de foie gras cru. Débarrassez-les (en cuisine cela signifie « gardez-les, réservez-les » et NON « balancez-les à la poubelle » !) entre 2 assiettes pour les garder au chaud sans les cuire; dans une petite partie de la graisse rendue (gardez le reste de graisse dans un petit pot au frigo pour des pommes de terre sarladaises, par exemple), poêlez des rondelles de banane très brièvement puis déglacez avec du jus de citron vert, du jus de gingembre frais (râpez du gingembre puis extrayez-en le jus à la force du poignet !) et un filet de miel liquide. Nappez les escalopes de cette sauce et disposez sur foie gras et rondelles de bananes quelques grains de fleur de sel. Dégustez très chaud.

Et si vous avez « peur de gâcher »,  ou tout simplement n’aimez pas le foie gras, ou alors êtes ce que nous appellerons pudiquement « en fin de mois », essayez cette recette avec une côtelette de porc, un steak de jambon, ou en version végétarienne une tranche de tofu ferme (type vietnamien ; le tofu de type japonais étant trop fragile)

dimanche 5 mai 2013

Une petite expérience juste pour l'amour de la science: avec le déferlement de rubicondes fraises sur nos étals, je pense que ce texte est de saison. Il vous suffira, tenant d'une main votre barquette rouge et de l'autre votre pot de crème, de tâter de cette arme de séduction massive qui, depuis des siècles, n'a jamais perpétré que des hécatombes d'heureux(ses)...


APARTHEID DE BLANCS
Vous penserez peut-être  « de quoi elle se mêle, celle-là » ? Je vous répondrai : « De ce qui me regarde » ! En effet, ce n’est en aucun cas de ségrégation raciale dont je voudrais vous entretenir aujourd’hui, mais d’un sujet qui, s’il est sans conteste plus léger, n’en reste pas moins crucial en matière de cuisine : j’appelle à la barre des saveurs sucre, sel, beurre et crème, escortés de leurs infinies combinaisons. Clarifions les choses : celle qui vous parle adore le bon beurre aux cristaux de sel, et se damnerait pour une onctueuse chantilly sucrée juste ce qu’il faut ; ceci étant, je suis convaincue, et j’aimerais vous faire partager mon point de vue ne fût-ce que partiellement, qu’il est du devoir moral de tout gourmet ou même gourmand fier de l’être de tâter de temps en temps du beurre doux ou de la crème (et, lato sensu, du lait, fromage blanc et yaourt) au naturel ; car sucrés ou salés, ces produits de base de la bonne cuisine vendent, il faut le reconnaître, une grande partie de leur âme à leurs diaboliques exhausteurs de goût. Il suffit de tremper ses lèvres dans une crème fermière à même le pot, ou d’étaler sur un bout de pain une noisette (si je n’étais pas hypocrite et bien-pensante, je dirais plutôt « une noix »…) de beurre frais non salé, pour que vos papilles lassées d’être toujours sollicitées par des produits toujours plus élaborés, gustifiés, customisés, redécouvrent l’étonnante simplicité du produit à l’état brut. Beurre et crème dégustés tout nus vous surprendront par cette saveur particulière  qu’à défaut de terme plus approprié je qualifierais de « goût de vache », cette unique combinaison d’animal et de végétal, de prairie et d’étable, de suave et de corsé. Alors, à moins que vous soyez galacto- ou butyrophobe, tentez l’expérience ; sans pour autant renoncer à vos prédilections de bec salé ou sucré, vous comprendrez mieux ce qu’à voulu vous faire partager votre gourmande qui vous est toute dévouée.
COMME A WIMBLEDON…
Il me semble qu’une approche intéressante du sujet qui nous occupe aujourd’hui est de tâter de l’en-cas traditionnellement proposé sur les gradins du stade de Wimbledon. Si nous autres Continentaux nous repaissons avec bonheur de hot-dogs et frites au Heyzel ou de kebabs dégoulinants de sauce blanche au Parc des Princes, les British, qui décidément « ne sont pas des gens comme nous » se régalent de fraises à la crème double tandis qu’ils suivent avec passion les échanges de balles sur le court. Il est vrai que la saison s’y prête, les fraises de pleine terre de l’été offrant un confortable taux de sucre qui permet de ne pas devoir en ajouter ; ceci étant, cette combinaison offre à mon avis une occasion de se familiariser en douceur avec la crème brute, sans pour autant être frustré si l’on est, comme votre servante, un incorrigible suikerbek.
Lexique à l’usage des francophones : suikerbek = néerlandais, littéralement « bec sucré »
publié dans "Le Vif - Weekend" en 2011 (www.levifweekend.be)

vendredi 29 mars 2013

Chicon, endive, scarole: quel salmigondis linguistique! Petite mise au point tant gourmande qu'amicale à l'usage des Français et des Belges...


MIC MAC ENDIVE
Il  règne entre la France et la Belgique une confusion séculaire qui ferait s’arracher les cheveux à plus d’un et déboussolerait les caboches les mieux rivées sur les épaules. Confusion, je dirais même plus, comme eussent proféré les Dupondt, véritable crise identitaire – oui, votre tantine n’a jamais peur des mots forts : je veux parler de la terminologie et la désignation chicon-endive. J’annonce donc, noble gourmand, qu’en France « chicon » se dit « endive ». Bon, ça on le savait déjà, me rétorquerez-vous. Oui, mais là où cela se corse, c’est que nos voisins baptisent scaroles nos endives – qui ne sont pas des chicons, hein ! Ouh, là je sens que, comme moi, vous commencez à perdre pied devant vos casseroles… accrochez-vous, ce n’est pas tout : un jour que je faisais mes emplettes en France et déposais sur le tapis de caisse mon endive – euh, ma scarole – l’hôtesse de caisse l’abîma quelque peu en la manipulant et s’en excusa. « Ne vous en faites pas » la consolai-je « de toute façon elle va passer à la casserole ». Mon interlocutrice fit des yeux ronds : « Quoi, vous allez la cuire ? » et de me demander comment j’allais m’y prendre, et si c’était bon, etc. Votre serviable et bavarde servante s’est bien entendu exécutée avec joie, donnant recettes et vantant l’insoupçonnée excellence de l’endive, pardon, de la scarole, cuite. Devant tant d’enthousiasme, mon interlocutrice se promit d’essayer… Vous avouerez qu’il est surprenant qu’au pays où il est de tradition de braiser les laitues pour les farcir d’abats d’agneau ou pour en garnir les fameux « petits pois à la française », on n’a même pas l’idée de cuire notre bonne vieille endive pleine de crolles, pour ne la manger que crue en salade : d’accord, c’est délicieux, avec une bonne vinaigrette moutardée et adoucie de vinaigre de cidre pour couper l’amertume… malgré cela, quel traitement réducteur ! Encore une supériorité des Belges sur les Français. On comprend mènant pourquoi que c’est nous qu’on a gagné à Waterloo.
petit lexique belgo-français:
crolles: boucles / mènant: maintenant / stoemp: écrasée à base de pommes de terre et de légumes /schlouk: dosage très subjectif correspondant à peu près à "un trait de" / racuspoter: rapporter, cafter
N’ATTENDEZ PAS L’ETE !
L’endive est à son meilleur en hiver, lorsqu’elle est dodue et recèle un cœur de feuilles jaunes. A partir de mai elle devient verte et maigrichonne, à croire qu’elle a suivi à la lettre les régimes préconisés par les magazines à l’approche de l’été. Ne jetez pas le trognon : épluché, coupé en petits dés et cuit avec les feuilles, c’est ma partie préférée, tendre et sucrée comme un fond d’artichaut. Tronçonnée, lavée soigneusement et égouttée, j’aime braiser notre endive avec du beurre et un oignon haché. Un peu d’eau, sel et poivre, c’est déjà un régal. Plus gourmand, singez-la (c-à-d saupoudrez-la de farine, rien à voir avec King Kong) pour la transformer en endive à la béchamel. Enfin, si vous ajoutez un schlouk de crème c’est encooore meilleur ! Sinon, sautez-la à l’huile d’olive et à l’ail comme les Italiens le font des feuilles de bettes; ou garnissez-en, une fois braisées et égouttées, une quiche que vous napperez d’un appareil œufs-crème-maïzena (10 cl de crème et 1 cc rase de maïzena par œuf) ; enfin, combinez-la à des patates écrasées pour un stoemp original et diététique, car le jus de légumes abondant et parfumé vous offrira une texture onctueuse sans devoir ajouter des quintaux de beurre. Et après, on viendra encore racuspoter que je vous incite à la perversité, ah, j’vous jure !

publié dans "Le Vif - Weekend" en 2012 (www.levifweekend.be)

dimanche 17 mars 2013

Publiée en janvier juste après les fêtes, j'ai envie de ressortir ce texte pour fêter la St Patrick en (re)mettant le vert à table, juste après la laitue!

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CHOUCHOUTONS-NOUS

Après nous être roulés dans la luxure du foie gras, imbibés de sauternes, dopés au homard, farcis de dinde, criblés de marrons, achevés à la bûche-crème-au-beurre et fait de la spéléo dans la galette à la recherche de la fève, croyez-vous que nous aspirons aux haricots  verts vapeur et au filet de poulet grillé comme à une panacée salvatrice ? Mais non voyons, contrairement à ce dont essaient de nous persuader les magazines de mode qui agitent dès janvier sous nos yeux la collection printemps-été moulante à souhait, il n’y a pas de repos pour les gourmands et gourmets assidus. Par contre, il est probable qu’une fois atteinte la concomitance de notre quota maximal de nourritures sophistiquées ingérées et du dangereux dégonflement de notre bourse, nous ayons envie d’un bon plat simple, pas cher, saisonnier et facile à faire – sans pour autant sombrer dans la moindre monotonie. Aujourd’hui, c’est l’Irlande qui vient à la rescousse de nos imaginations un peu sonnées par les agapes festives. Je vous propose un plat typique de là-bas (quel exotisme, hein ! Ca vous la coupe, je parie…) qui, si besoin était, prouve une fois de plus que chaque nation dispose au minimum d’un plat réconfortant, sans chichis, nourrissant et chaleureux susceptible de plaire universellement. Cousin pas très éloigné de notre stoemp national, le colcannon n’est autre qu’un mélange de pommes de terre écrasées avec du chou vert frisé et de jeunes oignons verts. Sa particularité réside dans l’emploi d’un chou vert très en feuilles (le « kale » ou « spring greens »), peu ou pas pommé, un peu comme nos maigrelets choux verts de printemps. Cependant, vous pouvez sans problème utiliser un chou vert frisé bien de chez nous. Par ailleurs, mettons en veilleuse notre fierté nationale car en matière de doryphores patatophages, les Belges peuvent se rhabiller face aux Irlandais qui se repaissent de ce tubercule à peine sevrés, et encore, je gage qu’on épaissit leurs biberons avec quelques cuillérées de purée…

SHOOTONS-NOUS A L’IRLANDAISE

Le colcannon constitue tant un plat d’hiver que de printemps, faisant appel à chou nouveau et oignons-fanes. Vous disposez donc de plusieurs mois pour vous verdir le teint jusqu’à la Saint Patrick et au-delà ! Pour 4, emparez-vous d’environ 1,5 kg de bintjes bien farineuses que vous cuisez en robe des champs, à l’eau ou au four, jusqu’à tendreté irréprochable. Pendant ce temps, faites étuver dans un peu de beurre une douzaine de grosses feuilles de chou vert taillées en julienne ; si vous aimez, vous pouvez les laisser légèrement croquantes. Ecrasez les patates cuites et épluchées avec le chou, assaisonnez et crémez d’une belle noix de beurre frais (je vous laisse juge de la quantité…) et d’assez de lait entier chaud pour obtenir une consistance pas trop coulante mais moelleuse ; terminez par une botte de jeunes oignons de printemps crus ciselés. Notez que l’association cru-cuit, outre le plaisir gustatif, combine les bienfaits des glucides assimilables, des sels minéraux, fibres et vitamines ; donc, que du bon pour vous – et y en aura encore pour dire que je suis Lucifer…  A proposer comme plat complet, ou à accompagner d’une tranche de bacon grillé comme en Irlande ; cheû nous, du bon jambon d’Ardenne ou du filet d’Anvers n’auront pas à rougir de se déguiser en charcuteries de la verte Erin…

publié dans Le Vif - Weekend en janvier 2013 (www.levifweekend.be)

vendredi 15 mars 2013

Japonaise, vous avez dit japonaise, la laitue? Petite illustration inspirée par le génial Haruki Murakami...


LAITUE SURGELEE

Lorsque Tengo, le héros de Murakami*, est réveillé par le téléphone en pleine nuit, il  se rend compte « qu’à la place de son cerveau, il y a de la laitue surgelée ». Et l’auteur, friand de détails matériels, de déconseiller au lecteur de surgeler de la laitue, « car une fois sortie du congélateur elle perd son craquant » or c’est là justement ce qu’on lui demande, à cette brave salade…alors, Murakami a-t-il raison ? Oui, et non ; car si, effectivement, rien ne vaut de belles et blondes feuilles croquantes s’ébrouant gaiement sous la vinaigrette ou, comme chez nous en Belgique, se prélassant dans la mayo pour nous offrir ce divin contraste de fraîcheur et d’onctuosité, de légère amertume combinée  à la richesse de l’assaisonnement, cette dodue pommée se complaît également dans une belle noix de beurre grésillant, où elle s’attendrit délicieusement jusqu’à ne plus ressembler qu’à une serpillère après reloquetage** du trottoir.  Aspect délavé, hippie shootée à la beûh et traînant dans sa longue tignasse, peau de vieux beau après une dizaine de liftings douteux, tout ce que vous voudrez ; mais quel goût ! Rien qu’à elle toute seule, la laitue fondue au beurre ou à l’huile d’olive est une délicatesse sans égale ; mais rien ne vous empêche d’y adjoindre, Ô gourmet(te), quelques oignons grelots  bien caramélisés avec une pincée de sucre et une cohorte de petits lardons qui l’escorteront gaillardement sans lui porter ombrage ; ou encore d’en entourer des pigeonneaux braisés aux petits pois, un grand classique qui en tant que tel a fait ses preuves depuis l’Arche de Noé, ou presque. Enfin, lorsqu’elle en trouvait à très bon prix, ma grand-mère les laissait entières en leur évidant le cœur et les farcissait de viande hachée, les ficelait avant de les braiser en cocotte (1 laitue par personne). Par ailleurs, c’est une façon exquise de ne pas gaspiller, car les feuilles vertes extérieures, que souvent l’on jette, se prêtent parfaitement à cet usage trop méconnu à mon goût : dommage, jammer***,  peccato !

*H. MURAKAMI, IQ84, tome III, chap.21
** nettoyer, en bruxellois
***dommage, en néerlandais

CREME DE LAITUE

Ma recette pour 4 personnes, 2 en 1 : effeuillez 2 laitues bien dodues pour ne garder que les 2 cœurs gros comme des pamplemousses, que vous garderez pour manger en salade. Lavez bien les feuilles extérieures, égouttez-les (rassurez-vous, c’est la seule partie un peu barbante de la recette qui par ailleurs est dérisoirement facile et rapide). Faites fondre les feuilles dans une noix de beurre ou à l’huile d’olive avec 2 gousses d’ail et 2 oignons moyens hachés, ajoutez 2 pommes de terre à purée pelées et en dés (ne lésinez pas sur la patate car la laitue, très riche en eau, donne une soupe très liquide). Mouillez d’1 l d’eau + 2 cubes de bouillon de légumes. Mijotez jusqu’à tendreté des pommes de terre, mixez, ajoutez 20 cl de crème fraîche. Rectifiez l’assaisonnement et servez bien chaud ; gourmand si vous proposez des croûtons faits maison (rondelles de baguette beurrées–persillées et passées au four). Alléger la recette ? Zappez beurre, huile et crème, divisez la quantité de patates et d’eau par 2, gardez les 2 cubes de bouillon pour le goût et adoucissez l’ensemble d’un peu de crème allégée : je vous promets que vous n’aurez pas l’impression d’être puni(e) ! Ah ben oui, c’est que votre tante Juju est solidaire dans votre héroïque croisade contre les capitons récalcitrants !

publié en automne 2012 dans Le Vif - Weekend (www.levifweekend.be)