DES GAFFES ET DES DEGATS…STRONOMIQUES
Mauvais jeu de
mots ? Normal : mauvais poil. Elle est bien gentille, la tante Juju,
mais parfois elle pique un coup de tronche quand une injustice trop criante
fait se rebeller en elle la Robine des Cuisines qui d’habitude se tient à
carreau. Jugez plutôt, aimable lecteur, et joignez-vous à mon indignation.
Avez-vous remarqué que dès qu’en matière de gastronomie un coup de génie se fait jour, il est immédiatement dénigré en
bourde, distraction, accident, oubli, heureux hasard - et encore je ne cite que les verdicts les plus
aimables. Les sœurs Tatin inventent une tarte extraordinaire qui cuit à
l’envers, révélant un bouclier de pommes lustrées de caramel et de beurre ambré
qui s’affale avec luxure sur une pâte absolument croquante ? On rit des
deux vieilles filles maladroites ou distraites (selon les différentes
versions: soit la tarte serait tombée par terre côté pommes, et les pâtissières auraient "recollé" leur dessert tant bien que mal afin de servir quelque chose de présentable, soit elles aurait disposé les pommes directement dans le moule "en oubliant" de mettre la pâte d'abord, cette deuxième version étant d'ailleurs particulièrement...tarte! ). Et ça ne choque personne…mais transposons: imaginons que la ville de
Salzbourg ait un jour commandé à Mozart une chansonnette pour le bal musette
municipal, mais que suite à un coup de blues l’artiste aurait raté son coup et
n’aurait réussi à composer qu’un requiem ; que Dali ait eu un jour l’ambition de représenter des
montres suisses R… mais que faute de talent il n’est parvenu qu’à peindre de
ridicules montres molles ; enfin, que Dante, dans la lune, aurait rédigé La divine comédie au lieu du discours
pour le mariage de son cousin par alliance au deuxième degré. Ne crierait-on
pas au scandale, à l’iconoclastie ? Alors moi, je dis que le pâtissier qui
avait « oublié » d’intégrer le beurre dans sa pâte dès le début
savait parfaitement qu’il allait créer l’aérienne pâte feuilletée, que le
marmiton inventeur du divin beurre blanc
savait parfaitement qu’il ne concoctait pas une hollandaise et n’y avait pas
mis de jaunes d’œuf à dessein, et qu’enfin les sœurs Tatin, loin d’être des
provinciales demeurées, étaient les dignes ancêtres des géniales Hélène Darroze,
Flora Mikula, Anne-Sophie Pic, et pardon à toutes celles que je ne cite pas. Et
na ! (ouf, ça va mieux).
N’AVOUE JAMAIS, JAMAIS, JAMAIS…
Fort(e) des
constatations ci-dessus, je vous conseille d’une part d’auto-encenser vos
trouvailles géniales (on n’a que le bien qu’on se fait), d’autre part de
transformer vos éventuels ratages en miracles d’inspiration. Un jour, voulant faire un apfelstrudel sans me fouler
en utilisant des feuilles de brik, je me suis rendu compte trop tard que le
sachet s’était ouvert ; les feuilles, desséchées, étaient impossibles à
rouler. J’ai dû me résoudre à empiler un informe millefeuilles, baptisé
pompeusement « croustillant aux pommes et épices ». Et tous les
convives de se récrier devant une telle créativité…
(Publié dans Le Vif-Weekend
en 2009 www.levifweekend.be)