samedi 8 septembre 2012

PULSIONS ET VOCABULAIRE:


Ce n'est pas un scoop: quand nos pulsions les plus obscures appellent le langage à la rescousse, celui-ci se fait tirer l'oreille avant de ne nous octroyer qu'une aide extrêmement approximative et insatisfaisante pour les exprimer. Le texte qui suit illustre cette fainéantise qui, heureusement, est compensée par nos regards, nos soupirs, tous ces fluides immatériels ou presque qui émanent de notre corps comme autant de fanaux avertisseurs, pour informer notre entourage intime de nos frissons d'envie... là j'arrête, sinon cette introduction va dériver grave...

JE CRAVE, TU CRAVES…NOUS CRAVONS
Toujours à touiller dans ses casseroles, la Tante Juju aime bien parfois s’accorder une pause pour entretenir ses fidèles ouailles de l’un ou l’autre point de linguistique gourmande comparée. Cette fois, un désir impérieux, et c’est le cas de le dire,  me pousse à évoquer avec vous un verbe anglais qui, à ma modeste connaissance du moins, n’offre pas d’équivalent exact en notre français pourtant si riche, notamment dans le lexique de la bonne chère. Nos amis anglophones font régulièrement usage dudit  vocable dès qu’ils éprouvent une irrépressible envie d’un aliment bien particulier. Un peu comme l’envie de femme enceinte, mais étendue aux deux sexes et à tous les âges. To crave forg ne peut se traduire en français que par des périphrases, des locutions, comme mourir d’envie, désirer ardemment, se languir de, éprouver une compulsion ingérable (comme on dit aujourd’hui) pour… Je déplore cette lacune, pourquoi nos fantasmes – gourmands en l’occurrence  -  n’auraient-ils pas droit à ce mot magique comme ces non dî d’jûs* d’Rosbifs et d’Amerloques ?  Quant à expliciter le concept, parfois, l’origine du désir est évidente : on vient de passer devant la bouche d’aération d’une boulangerie et il nous faut fissa un croissant chaud ; le stand à gaufres de Liège a kidnappé notre cerveau qui refuse de continuer à jouer les garde-chiourme de notre corps tant qu’on ne lui procure pas la fondante délice truffée de sucre perlé ; enfin, qui n’a pas tout lâché pour se ruer sur cette saucisse-oignons rissolés brunis – moutarde bien piquante parce que notre volonté diététique s’est fort opportunément fait la malle ? En revanche, d’autres cravings sont d’une genèse plus opaque : pourquoi diable, là, juste maintenant, ai-je cette envie criante d’une cuiller à soupe de piccalilli à même le bocal ? Un souvenir, un cheminement qui a conduit notre intellect à déménager de notre pensée philosophique pourtant si classe pour squatter notre estomac avec une complaisance qui nous fait honte, un contexte, un climat, toutes données psycho-physico-géo-thermo-instincto-biscornues qui tissées en réseau nébuleux harcèlent  notre libre-arbitre afin d’obtenir ce pas si obscur objet du désir…
* en wallon, « non de dieu »
BONNE CONSCIENCE : MERCI TANTINE !
Rassurez-vous, le fait de craver pour un aliment bien spécifique n’est pas toujours le fait d’une pulsion déréglée voire déraisonnable. En effet, le corps est malgré tout une machine bien faite qui, écoutée avec un minimum d’objectivité et de discernement, nous indique plus souvent que nous ne le pensons ce dont elle a un besoin réel. EEEh làààà, stop avec les dérives hypocrites, hein ! NON, vos jambes affaiblies n’ont pas besoin de ce ravier de frites-mayo ou de cette barre de chococaramelnougat maxi-size ; par contre, un manque de fer peut induire l’envie irrépressible et salutaire d’un steak bien rouge, la petite hypoglycémie de 11h du matin réclamera quelques fruits secs, une impression d’os un peu moulus rappellera fort opportunément à votre cerveau gourmand qu’un shoot au calcium s’impose, sous forme de ce morceau de comté qui vous fait tant baver ou même de ce lait chocolaté chaud qui hante vos délires pas trop fous. Attention, n’allez pas attribuer à votre servante de super-pouvoirs ; je ne suis pas une rebouteuse, et si vous éprouviez trop souvent ce genre de léger déséquilibre allez voir votre médecin traiteur, comme ledit un jour une amie fort sagace.
Publié dans Le Vif – Weekend en 2011 (www.levifweekend.be)

mardi 4 septembre 2012

En cette éprouvante rentrée, on ne pense qu'à ces chers petits qui vont s'épuiser à se rasseoir sur les bancs de l'école... et les pauvres profs, alors, qui vont revenir exsangues de cette première journée en ne rêvant que de se pieuter avec un bon livre...et/ou une petite douceur consolatrice et revigorante? Solidaire en tant qu'ex-prof, je leur dédie cette rubrique; mais votre gourou démago et prosélyte ne vous interdit pas, Ô parents éprouvés et pratiquants d'autres professions, de vous y intéresser! Alors, bon fantasmes d'ici ce soir...


POULET AU LIT

Quand j’étais petite, ma mère nous lisait Le petit Poucet, et plus encore que l’épisode indigeste des petits cailloux blancs, ce qui me fascinait était la représentation des filles de l’Ogre qui, le soir dans leur grand lit, rongeaient voracement des os de poulet. Mes fantasmes de pique-nique au lit n’en restèrent pas là, car plus tard, une amie étudiante me raconta ainsi son week-end : « Dimanche, je me suis levée vers 9h, je suis partie au marché, ai acheté  un poulet rôti tout chaud, suis retournée à la maison, me suis recouchée et puis j’ai dégusté mon poulet dans mon lit. Aâââh, comme c’était bon ! ». Cette jeune fille n’eût pas évoqué une nuit d’amour torride avec plus de jouissance charnelle… Tout de même, malgré ma gourmandise et mes délires, ce genre de festin au lit me laisse un peu dubitative : n’ai-je pas essayé, petite fille, de croquer des petits-beurres au lit… transformant l’intérieur des draps en planche de fakir de miettes piquantes. Il faut reconnaître que manger au lit est un sport qui demande de la technique et de l’entraînement, et que l’idéal, c’est toujours la pomme et le verre de lait (qui, c’est bien connu, ont l’avantage supplémentaire de favoriser l’endormissement). Cependant, si vous voulez vous faire une soirée-télé (enfin, télé, ou plus si affinités…) au lit tout en dégustant quelque chose de bon, lisez mes suggestions ci-contre tout en bannissant, confort oblige, tout aliment gras, collant ou qui tache, tout ce qui est coulant ou génère des miettes  (biscuits, viennoiseries, cakes…) ou des déchets (os, pépins, pelures…) et en favorisant  tout ce qui est en format «bouchée » afin de ne pas provoquer d’éboulements alimentaires dans vos draps et sur vos oreillers. Bon, ces injonctions raisonnables ne s’adressent bien entendu pas à ceux pour qui nager dans une piscine de chocolat fondu avec icebergs de marshmallows et récifs de pains à la grecque est un fantasme sensuel ; après tout, « comme on fait son lit, on se couche » !

NOURRITURES LITIERES

Rondelles de pommes de terre à  chair ferme salées et poivrées avec dé de foie gras, mini blinis tartinés de fromage frais ail et fines herbes + lichette de saumon fumé (même si vous êtes friqué, pas de caviar, à moins que vous n’ayez envie d’essayer de couver vous-même les œufs en vue d’une pisciculture lucrative), crudités nature sans sauce (céleri, carottes, radis, tomates cerises en faisant attention à croquer celles-ci d’un seul coup afin qu’elles explosent dans votre bouche et pas à l’extérieur, sinon bonjour les schrapnells), œufs de caille durs écalés, dés de fromage (pas friables comme chèvres secs, mimolette ou gouda extra-vieux, parmesan vieux… ou coulants comme gorgonzola, camembert fait…), fines tranches de viande des Grisons bien sèche… et du champagne ! Plus démocratique, minipizzas taille bouchée, pop corn (pas de chips !), crudités, dés de gouda jeune et jambon cuit. Côté sucré, raisins sans pépins, fraises équeutées et bombe de chantilly, glaces en pots ou yaourts. Pas de pâtisseries sauf petits fours de la taille d’une bouchée ou petites profiteroles (sans sauce au chocolat !) ; des carrés de chocolat, des pralines ou du massepain. Evitez les friskos ou barres chocolatées glacés, le chocolat qui les emballe a la fâcheuse manie de s’émietter dès qu’on mord dedans et de transformer votre pyjama (ou votre absence de pyjama…) en constellation collante qui orientera vos rêves vers des cauchemars marécageux…

Traduction des belgicismes à l’intention des Français néophytes :
Pains à la grecque : biscuits feuilletés-levés caramélisés au sucre cristallisé ; pralines : chocolats fourrés ; massepain : pâte d’amandes ; friskos : esquimaux

Publié dans « Le Vif – Weekend » en janvier 2012 (www.levifweekend.be)