Ce n'est pas un scoop: quand nos pulsions les plus obscures appellent le langage à la rescousse, celui-ci se fait tirer l'oreille avant de ne nous octroyer qu'une aide extrêmement approximative et insatisfaisante pour les exprimer. Le texte qui suit illustre cette fainéantise qui, heureusement, est compensée par nos regards, nos soupirs, tous ces fluides immatériels ou presque qui émanent de notre corps comme autant de fanaux avertisseurs, pour informer notre entourage intime de nos frissons d'envie... là j'arrête, sinon cette introduction va dériver grave...
JE CRAVE, TU CRAVES…NOUS CRAVONS
JE CRAVE, TU CRAVES…NOUS CRAVONS
Toujours à touiller dans ses
casseroles, la Tante Juju aime bien parfois s’accorder une pause pour
entretenir ses fidèles ouailles de l’un ou l’autre point de linguistique gourmande
comparée. Cette fois, un désir impérieux, et c’est le cas de le dire, me pousse à évoquer avec vous un verbe anglais
qui, à ma modeste connaissance du moins, n’offre pas d’équivalent exact en
notre français pourtant si riche, notamment dans le lexique de la bonne chère.
Nos amis anglophones font régulièrement usage dudit vocable dès qu’ils éprouvent une
irrépressible envie d’un aliment bien particulier. Un peu comme l’envie de
femme enceinte, mais étendue aux deux sexes et à tous les âges. To crave forg ne peut se traduire en français
que par des périphrases, des locutions, comme mourir d’envie, désirer
ardemment, se languir de, éprouver une compulsion ingérable (comme on dit
aujourd’hui) pour… Je déplore cette lacune, pourquoi nos fantasmes – gourmands
en l’occurrence - n’auraient-ils pas droit à ce mot magique comme
ces non dî d’jûs* d’Rosbifs et d’Amerloques ? Quant à expliciter le concept, parfois,
l’origine du désir est évidente : on vient de passer devant la bouche
d’aération d’une boulangerie et il nous faut fissa un croissant chaud ; le
stand à gaufres de Liège a kidnappé notre cerveau qui refuse de continuer à
jouer les garde-chiourme de notre corps tant qu’on ne lui procure pas la
fondante délice truffée de sucre perlé ; enfin, qui n’a pas tout lâché
pour se ruer sur cette saucisse-oignons rissolés brunis – moutarde bien piquante
parce que notre volonté diététique s’est fort opportunément fait la
malle ? En revanche, d’autres cravings
sont d’une genèse plus opaque : pourquoi diable, là, juste maintenant,
ai-je cette envie criante d’une cuiller à soupe de piccalilli à même le bocal ?
Un souvenir, un cheminement qui a conduit notre intellect à déménager de notre
pensée philosophique pourtant si classe pour squatter notre estomac avec une
complaisance qui nous fait honte, un contexte, un climat, toutes données psycho-physico-géo-thermo-instincto-biscornues
qui tissées en réseau nébuleux harcèlent
notre libre-arbitre afin d’obtenir ce pas si obscur objet du désir…
* en
wallon, « non de dieu »
BONNE CONSCIENCE : MERCI TANTINE !
Rassurez-vous,
le fait de craver pour un aliment
bien spécifique n’est pas toujours le fait d’une pulsion déréglée voire
déraisonnable. En effet, le corps est malgré tout une machine bien faite qui,
écoutée avec un minimum d’objectivité et de discernement, nous indique plus
souvent que nous ne le pensons ce dont elle a un besoin réel. EEEh làààà, stop avec
les dérives hypocrites, hein ! NON, vos jambes affaiblies n’ont pas besoin de ce ravier de frites-mayo ou de
cette barre de chococaramelnougat maxi-size ; par contre, un manque de fer
peut induire l’envie irrépressible et salutaire d’un steak bien rouge, la
petite hypoglycémie de 11h du matin réclamera quelques fruits secs, une
impression d’os un peu moulus rappellera fort opportunément à votre cerveau
gourmand qu’un shoot au calcium s’impose, sous forme de ce morceau de comté qui
vous fait tant baver ou même de ce lait chocolaté chaud qui hante vos délires
pas trop fous. Attention, n’allez pas attribuer à votre servante de
super-pouvoirs ; je ne suis pas une rebouteuse, et si vous éprouviez trop
souvent ce genre de léger déséquilibre allez voir votre médecin traiteur, comme ledit un jour une amie
fort sagace.
Publié dans Le Vif – Weekend en 2011 (www.levifweekend.be)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire