vendredi 29 mars 2013

Chicon, endive, scarole: quel salmigondis linguistique! Petite mise au point tant gourmande qu'amicale à l'usage des Français et des Belges...


MIC MAC ENDIVE
Il  règne entre la France et la Belgique une confusion séculaire qui ferait s’arracher les cheveux à plus d’un et déboussolerait les caboches les mieux rivées sur les épaules. Confusion, je dirais même plus, comme eussent proféré les Dupondt, véritable crise identitaire – oui, votre tantine n’a jamais peur des mots forts : je veux parler de la terminologie et la désignation chicon-endive. J’annonce donc, noble gourmand, qu’en France « chicon » se dit « endive ». Bon, ça on le savait déjà, me rétorquerez-vous. Oui, mais là où cela se corse, c’est que nos voisins baptisent scaroles nos endives – qui ne sont pas des chicons, hein ! Ouh, là je sens que, comme moi, vous commencez à perdre pied devant vos casseroles… accrochez-vous, ce n’est pas tout : un jour que je faisais mes emplettes en France et déposais sur le tapis de caisse mon endive – euh, ma scarole – l’hôtesse de caisse l’abîma quelque peu en la manipulant et s’en excusa. « Ne vous en faites pas » la consolai-je « de toute façon elle va passer à la casserole ». Mon interlocutrice fit des yeux ronds : « Quoi, vous allez la cuire ? » et de me demander comment j’allais m’y prendre, et si c’était bon, etc. Votre serviable et bavarde servante s’est bien entendu exécutée avec joie, donnant recettes et vantant l’insoupçonnée excellence de l’endive, pardon, de la scarole, cuite. Devant tant d’enthousiasme, mon interlocutrice se promit d’essayer… Vous avouerez qu’il est surprenant qu’au pays où il est de tradition de braiser les laitues pour les farcir d’abats d’agneau ou pour en garnir les fameux « petits pois à la française », on n’a même pas l’idée de cuire notre bonne vieille endive pleine de crolles, pour ne la manger que crue en salade : d’accord, c’est délicieux, avec une bonne vinaigrette moutardée et adoucie de vinaigre de cidre pour couper l’amertume… malgré cela, quel traitement réducteur ! Encore une supériorité des Belges sur les Français. On comprend mènant pourquoi que c’est nous qu’on a gagné à Waterloo.
petit lexique belgo-français:
crolles: boucles / mènant: maintenant / stoemp: écrasée à base de pommes de terre et de légumes /schlouk: dosage très subjectif correspondant à peu près à "un trait de" / racuspoter: rapporter, cafter
N’ATTENDEZ PAS L’ETE !
L’endive est à son meilleur en hiver, lorsqu’elle est dodue et recèle un cœur de feuilles jaunes. A partir de mai elle devient verte et maigrichonne, à croire qu’elle a suivi à la lettre les régimes préconisés par les magazines à l’approche de l’été. Ne jetez pas le trognon : épluché, coupé en petits dés et cuit avec les feuilles, c’est ma partie préférée, tendre et sucrée comme un fond d’artichaut. Tronçonnée, lavée soigneusement et égouttée, j’aime braiser notre endive avec du beurre et un oignon haché. Un peu d’eau, sel et poivre, c’est déjà un régal. Plus gourmand, singez-la (c-à-d saupoudrez-la de farine, rien à voir avec King Kong) pour la transformer en endive à la béchamel. Enfin, si vous ajoutez un schlouk de crème c’est encooore meilleur ! Sinon, sautez-la à l’huile d’olive et à l’ail comme les Italiens le font des feuilles de bettes; ou garnissez-en, une fois braisées et égouttées, une quiche que vous napperez d’un appareil œufs-crème-maïzena (10 cl de crème et 1 cc rase de maïzena par œuf) ; enfin, combinez-la à des patates écrasées pour un stoemp original et diététique, car le jus de légumes abondant et parfumé vous offrira une texture onctueuse sans devoir ajouter des quintaux de beurre. Et après, on viendra encore racuspoter que je vous incite à la perversité, ah, j’vous jure !

publié dans "Le Vif - Weekend" en 2012 (www.levifweekend.be)

dimanche 17 mars 2013

Publiée en janvier juste après les fêtes, j'ai envie de ressortir ce texte pour fêter la St Patrick en (re)mettant le vert à table, juste après la laitue!

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CHOUCHOUTONS-NOUS

Après nous être roulés dans la luxure du foie gras, imbibés de sauternes, dopés au homard, farcis de dinde, criblés de marrons, achevés à la bûche-crème-au-beurre et fait de la spéléo dans la galette à la recherche de la fève, croyez-vous que nous aspirons aux haricots  verts vapeur et au filet de poulet grillé comme à une panacée salvatrice ? Mais non voyons, contrairement à ce dont essaient de nous persuader les magazines de mode qui agitent dès janvier sous nos yeux la collection printemps-été moulante à souhait, il n’y a pas de repos pour les gourmands et gourmets assidus. Par contre, il est probable qu’une fois atteinte la concomitance de notre quota maximal de nourritures sophistiquées ingérées et du dangereux dégonflement de notre bourse, nous ayons envie d’un bon plat simple, pas cher, saisonnier et facile à faire – sans pour autant sombrer dans la moindre monotonie. Aujourd’hui, c’est l’Irlande qui vient à la rescousse de nos imaginations un peu sonnées par les agapes festives. Je vous propose un plat typique de là-bas (quel exotisme, hein ! Ca vous la coupe, je parie…) qui, si besoin était, prouve une fois de plus que chaque nation dispose au minimum d’un plat réconfortant, sans chichis, nourrissant et chaleureux susceptible de plaire universellement. Cousin pas très éloigné de notre stoemp national, le colcannon n’est autre qu’un mélange de pommes de terre écrasées avec du chou vert frisé et de jeunes oignons verts. Sa particularité réside dans l’emploi d’un chou vert très en feuilles (le « kale » ou « spring greens »), peu ou pas pommé, un peu comme nos maigrelets choux verts de printemps. Cependant, vous pouvez sans problème utiliser un chou vert frisé bien de chez nous. Par ailleurs, mettons en veilleuse notre fierté nationale car en matière de doryphores patatophages, les Belges peuvent se rhabiller face aux Irlandais qui se repaissent de ce tubercule à peine sevrés, et encore, je gage qu’on épaissit leurs biberons avec quelques cuillérées de purée…

SHOOTONS-NOUS A L’IRLANDAISE

Le colcannon constitue tant un plat d’hiver que de printemps, faisant appel à chou nouveau et oignons-fanes. Vous disposez donc de plusieurs mois pour vous verdir le teint jusqu’à la Saint Patrick et au-delà ! Pour 4, emparez-vous d’environ 1,5 kg de bintjes bien farineuses que vous cuisez en robe des champs, à l’eau ou au four, jusqu’à tendreté irréprochable. Pendant ce temps, faites étuver dans un peu de beurre une douzaine de grosses feuilles de chou vert taillées en julienne ; si vous aimez, vous pouvez les laisser légèrement croquantes. Ecrasez les patates cuites et épluchées avec le chou, assaisonnez et crémez d’une belle noix de beurre frais (je vous laisse juge de la quantité…) et d’assez de lait entier chaud pour obtenir une consistance pas trop coulante mais moelleuse ; terminez par une botte de jeunes oignons de printemps crus ciselés. Notez que l’association cru-cuit, outre le plaisir gustatif, combine les bienfaits des glucides assimilables, des sels minéraux, fibres et vitamines ; donc, que du bon pour vous – et y en aura encore pour dire que je suis Lucifer…  A proposer comme plat complet, ou à accompagner d’une tranche de bacon grillé comme en Irlande ; cheû nous, du bon jambon d’Ardenne ou du filet d’Anvers n’auront pas à rougir de se déguiser en charcuteries de la verte Erin…

publié dans Le Vif - Weekend en janvier 2013 (www.levifweekend.be)

vendredi 15 mars 2013

Japonaise, vous avez dit japonaise, la laitue? Petite illustration inspirée par le génial Haruki Murakami...


LAITUE SURGELEE

Lorsque Tengo, le héros de Murakami*, est réveillé par le téléphone en pleine nuit, il  se rend compte « qu’à la place de son cerveau, il y a de la laitue surgelée ». Et l’auteur, friand de détails matériels, de déconseiller au lecteur de surgeler de la laitue, « car une fois sortie du congélateur elle perd son craquant » or c’est là justement ce qu’on lui demande, à cette brave salade…alors, Murakami a-t-il raison ? Oui, et non ; car si, effectivement, rien ne vaut de belles et blondes feuilles croquantes s’ébrouant gaiement sous la vinaigrette ou, comme chez nous en Belgique, se prélassant dans la mayo pour nous offrir ce divin contraste de fraîcheur et d’onctuosité, de légère amertume combinée  à la richesse de l’assaisonnement, cette dodue pommée se complaît également dans une belle noix de beurre grésillant, où elle s’attendrit délicieusement jusqu’à ne plus ressembler qu’à une serpillère après reloquetage** du trottoir.  Aspect délavé, hippie shootée à la beûh et traînant dans sa longue tignasse, peau de vieux beau après une dizaine de liftings douteux, tout ce que vous voudrez ; mais quel goût ! Rien qu’à elle toute seule, la laitue fondue au beurre ou à l’huile d’olive est une délicatesse sans égale ; mais rien ne vous empêche d’y adjoindre, Ô gourmet(te), quelques oignons grelots  bien caramélisés avec une pincée de sucre et une cohorte de petits lardons qui l’escorteront gaillardement sans lui porter ombrage ; ou encore d’en entourer des pigeonneaux braisés aux petits pois, un grand classique qui en tant que tel a fait ses preuves depuis l’Arche de Noé, ou presque. Enfin, lorsqu’elle en trouvait à très bon prix, ma grand-mère les laissait entières en leur évidant le cœur et les farcissait de viande hachée, les ficelait avant de les braiser en cocotte (1 laitue par personne). Par ailleurs, c’est une façon exquise de ne pas gaspiller, car les feuilles vertes extérieures, que souvent l’on jette, se prêtent parfaitement à cet usage trop méconnu à mon goût : dommage, jammer***,  peccato !

*H. MURAKAMI, IQ84, tome III, chap.21
** nettoyer, en bruxellois
***dommage, en néerlandais

CREME DE LAITUE

Ma recette pour 4 personnes, 2 en 1 : effeuillez 2 laitues bien dodues pour ne garder que les 2 cœurs gros comme des pamplemousses, que vous garderez pour manger en salade. Lavez bien les feuilles extérieures, égouttez-les (rassurez-vous, c’est la seule partie un peu barbante de la recette qui par ailleurs est dérisoirement facile et rapide). Faites fondre les feuilles dans une noix de beurre ou à l’huile d’olive avec 2 gousses d’ail et 2 oignons moyens hachés, ajoutez 2 pommes de terre à purée pelées et en dés (ne lésinez pas sur la patate car la laitue, très riche en eau, donne une soupe très liquide). Mouillez d’1 l d’eau + 2 cubes de bouillon de légumes. Mijotez jusqu’à tendreté des pommes de terre, mixez, ajoutez 20 cl de crème fraîche. Rectifiez l’assaisonnement et servez bien chaud ; gourmand si vous proposez des croûtons faits maison (rondelles de baguette beurrées–persillées et passées au four). Alléger la recette ? Zappez beurre, huile et crème, divisez la quantité de patates et d’eau par 2, gardez les 2 cubes de bouillon pour le goût et adoucissez l’ensemble d’un peu de crème allégée : je vous promets que vous n’aurez pas l’impression d’être puni(e) ! Ah ben oui, c’est que votre tante Juju est solidaire dans votre héroïque croisade contre les capitons récalcitrants !

publié en automne 2012 dans Le Vif - Weekend (www.levifweekend.be)