MIC MAC ENDIVE
Il
règne entre la France et la Belgique une confusion séculaire qui ferait
s’arracher les cheveux à plus d’un et déboussolerait les caboches les mieux
rivées sur les épaules. Confusion, je dirais même plus, comme eussent proféré
les Dupondt, véritable crise identitaire – oui, votre tantine n’a jamais peur
des mots forts : je veux parler de la terminologie et la désignation
chicon-endive. J’annonce donc, noble gourmand, qu’en France « chicon »
se dit « endive ». Bon, ça on le savait déjà, me rétorquerez-vous. Oui,
mais là où cela se corse, c’est que nos voisins baptisent scaroles nos endives
– qui ne sont pas des chicons, hein ! Ouh, là je sens que, comme moi, vous
commencez à perdre pied devant vos casseroles… accrochez-vous, ce n’est pas tout :
un jour que je faisais mes emplettes en France et déposais sur le tapis de
caisse mon endive – euh, ma scarole – l’hôtesse de caisse l’abîma quelque peu
en la manipulant et s’en excusa. « Ne vous en faites pas » la
consolai-je « de toute façon elle va passer à la casserole ». Mon
interlocutrice fit des yeux ronds : « Quoi, vous allez la cuire ? » et de me demander
comment j’allais m’y prendre, et si c’était bon, etc. Votre serviable et
bavarde servante s’est bien entendu exécutée avec joie, donnant recettes et
vantant l’insoupçonnée excellence de l’endive, pardon, de la scarole, cuite.
Devant tant d’enthousiasme, mon interlocutrice se promit d’essayer… Vous
avouerez qu’il est surprenant qu’au pays où il est de tradition de braiser les
laitues pour les farcir d’abats d’agneau ou pour en garnir les fameux
« petits pois à la française », on n’a même pas l’idée de cuire notre
bonne vieille endive pleine de crolles, pour ne la manger que crue en
salade : d’accord, c’est délicieux, avec une bonne vinaigrette moutardée
et adoucie de vinaigre de cidre pour couper l’amertume… malgré cela, quel
traitement réducteur ! Encore une supériorité des Belges sur les Français.
On comprend mènant pourquoi que c’est nous qu’on a gagné à Waterloo.
petit lexique belgo-français:
crolles: boucles / mènant: maintenant / stoemp: écrasée à base de pommes de terre et de légumes /schlouk: dosage très subjectif correspondant à peu près à "un trait de" / racuspoter: rapporter, cafter
N’ATTENDEZ
PAS L’ETE !
L’endive est à son meilleur en hiver, lorsqu’elle est dodue et recèle
un cœur de feuilles jaunes. A partir de mai elle devient verte et maigrichonne,
à croire qu’elle a suivi à la lettre les régimes préconisés par les magazines à
l’approche de l’été. Ne jetez pas le trognon : épluché, coupé en petits
dés et cuit avec les feuilles, c’est ma partie préférée, tendre et sucrée comme
un fond d’artichaut. Tronçonnée, lavée soigneusement et égouttée, j’aime braiser
notre endive avec du beurre et un oignon haché. Un peu d’eau, sel et poivre,
c’est déjà un régal. Plus gourmand, singez-la (c-à-d saupoudrez-la de farine,
rien à voir avec King Kong) pour la transformer en endive à la béchamel. Enfin,
si vous ajoutez un schlouk de crème c’est encooore meilleur ! Sinon,
sautez-la à l’huile d’olive et à l’ail comme les Italiens le font des feuilles de
bettes; ou garnissez-en, une fois braisées et égouttées, une quiche que vous
napperez d’un appareil œufs-crème-maïzena (10 cl de crème et 1 cc rase de
maïzena par œuf) ; enfin, combinez-la à des patates écrasées pour un
stoemp original et diététique, car le jus de légumes abondant et parfumé vous
offrira une texture onctueuse sans devoir ajouter des quintaux de beurre. Et
après, on viendra encore racuspoter que je vous incite à la perversité, ah,
j’vous jure !
publié dans "Le Vif - Weekend" en 2012 (www.levifweekend.be)