APARTHEID DE BLANCS
Vous penserez peut-être « de quoi elle se mêle, celle-là » ? Je vous
répondrai : « De ce qui me regarde » ! En effet, ce n’est
en aucun cas de ségrégation raciale dont je voudrais vous entretenir
aujourd’hui, mais d’un sujet qui, s’il est sans conteste plus léger, n’en reste
pas moins crucial en matière de cuisine : j’appelle à la barre des saveurs
sucre, sel, beurre et crème, escortés de leurs infinies combinaisons.
Clarifions les choses : celle qui vous parle adore le bon beurre aux cristaux
de sel, et se damnerait pour une onctueuse chantilly sucrée juste ce qu’il
faut ; ceci étant, je suis convaincue, et j’aimerais vous faire partager
mon point de vue ne fût-ce que partiellement, qu’il est du devoir moral de tout
gourmet ou même gourmand fier de l’être de tâter de temps en temps du beurre
doux ou de la crème (et, lato sensu,
du lait, fromage blanc et yaourt) au naturel ; car sucrés ou salés, ces
produits de base de la bonne cuisine vendent, il faut le reconnaître, une
grande partie de leur âme à leurs diaboliques exhausteurs de goût. Il suffit de
tremper ses lèvres dans une crème fermière à même le pot, ou d’étaler sur un
bout de pain une noisette (si je n’étais pas hypocrite et bien-pensante, je
dirais plutôt « une noix »…) de beurre frais non salé, pour que vos
papilles lassées d’être toujours sollicitées par des produits toujours plus
élaborés, gustifiés, customisés, redécouvrent l’étonnante simplicité du produit
à l’état brut. Beurre et crème dégustés tout nus vous surprendront par cette
saveur particulière qu’à défaut de terme
plus approprié je qualifierais de « goût de vache », cette unique
combinaison d’animal et de végétal, de prairie et d’étable, de suave et de corsé.
Alors, à moins que vous soyez galacto- ou butyrophobe, tentez
l’expérience ; sans pour autant renoncer à vos prédilections de bec salé
ou sucré, vous comprendrez mieux ce qu’à voulu vous faire partager votre
gourmande qui vous est toute dévouée.
COMME A WIMBLEDON…
Il me semble qu’une
approche intéressante du sujet qui nous occupe aujourd’hui est de tâter de
l’en-cas traditionnellement proposé sur les gradins du stade de Wimbledon. Si
nous autres Continentaux nous repaissons avec bonheur de hot-dogs et frites au
Heyzel ou de kebabs dégoulinants de sauce blanche au Parc des Princes, les
British, qui décidément « ne sont pas des gens comme nous » se
régalent de fraises à la crème double tandis qu’ils suivent avec passion les
échanges de balles sur le court. Il est vrai que la saison s’y prête, les
fraises de pleine terre de l’été offrant un confortable taux de sucre qui
permet de ne pas devoir en ajouter ; ceci étant, cette combinaison offre à
mon avis une occasion de se familiariser en douceur avec la crème brute, sans
pour autant être frustré si l’on est, comme votre servante, un incorrigible suikerbek.
Lexique à l’usage des
francophones : suikerbek =
néerlandais, littéralement « bec sucré »
publié dans "Le Vif - Weekend" en 2011 (www.levifweekend.be)