FESSES ET BAISURE
« La v’là qui nous propose un plan
louche, style partouze pas recommandable qui n’a pas sa place dans un hebdo
respectable » penserez-vous sans doute à la lecture de ce titre aux
consonances ordurières. Et pourtant vous connaissez votre servante, aussi
innocente que l’agneau de prés salés qui vient de naître. Forts de cela, vous
devriez donc être rassurés, car je ne veux vous parler que de nos honnêtes et
surtout inimitables pistolets nationaux. Que diable pourrais-je vous apprendre
de plus sur un produit que tout Belge qui se respecte connaît par cœur ?
Justement, c’est à vous que je demande instamment aide et assistance, car comme
vous le savez bien, aujourd’hui, tout fout l’camp, et nos pistos itou ! Ne
trouvons-nous pas en effet beaucoup trop souvent de fades petits ballons mous
et parfaitement sphériques, là où nous attendons une croûte croustillante
recelant une mie dense et onctueuse, et surtout, la forme de fesses de
bébé ? Le vrai pistolet se doit
d’être largement et profondément fendu pour mériter son nom d’arme à feu ;
et de présenter parfois une baisure, ce cratère latéral dû à deux petits pains
qui ont collé ensemble à la cuisson ; pour ce qui est de sa composition,
la recette traditionnelle comportait du saindoux mais je pense qu’aujourd’hui, le
diététiquement correct qui bannit toute graisse qui n’arbore pas fièrement ses
sacro-saints oméga 3, jumelé au bas coût des matières grasses végétales
douteuses comme l’huile de palme ou autres coprah, veulent que cet ingrédient
trop cochon soit remplacé par un améliorant bien industriel destiné tant à nous
donner bonne conscience qu’à augmenter le profit des vilains capitalistes
producteurs. Ce bien sûr, au détriment du goût, mais c’est tellement
secondaire, n’est-ce pas ? Alors, amis panivores, si dans votre quartier
ou votre village vous avez la chance d’avoir un boulanger qui fasse des pistos
dignes de ce nom, je vous demande non seulement de le chérir et le caresser
dans le sens du poil, mais aussi de le clamer bien fort pour que votre tante
Juju soit informée de l’aubaine !
PRENDRE SON PIED
D’après mon expérience,
c’est à notre côte belge que l’on a le plus de chances de trouver encore de
très corrects pistolets pleins de mie consistante, croquants et largement
fendus. Quant aux garnitures qui leur vont comme autant de gants, il y a bien
sûr les crevettes grises, l’américain préparé* ou le pâté de campagne, voire la
confiture, le choco ou même la pâte de
spéculoos ; mais pour ma part, je ne les aime jamais autant qu’avec « seulement »
(j’adore cette réduction hypocrite) du beurre doux après les avoir évidés de
leur mie (roulée en boulette puis dégustée pendant qu’on tartine l’intérieur du
pistolet) puis trempés une seconde dans une grande jatte** de café noir non sucré
et brûlant.
*note à l'usage des Français: non, le Belge n'est pas cannibale! L'américain désigne chez nous le tartare de boeuf (haché fin, pas au couteau!) "nature" (sans rien) ou "préparé" (assaisonné d'une mayonnaise bien relevée et souvent tomatée)
**le Belge, et surtout le Wallon, refuse voire méprise le café dans un dé à coudre. La jatte désigne la grande tasse remplie à ras-bord de noir bien corsé
Publié en avril 2011 dans Le
Vif – Weekend (www.levifweekend.be)
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