BEURRE
BRETONNANT
J'ai
un jour lu une anecdote historique qui a levé le voile opaque sur un mystère
qui me taraudait la cervelle depuis belle lurette: pourquoi les pâtisseries
bretonnes sont-elles si riches en beurre? En effet, quand notre honnête
quatre-quarts fanfaronne au sujet de ses proportions beurresques ou que notre
pâte sablée se tape un dikenek* d'enfer en affichant environ 33% de cet
ingrédient sublimateur, palets, galettes fines, gâteaux bretons ou autres
kouing-aman assument avec une hardiesse insultante un taux de beurre - salé,
s'entend - qui renvoie nos cramiques, brioches pur beurre ou encore
viennoiseries au rang d'aliments de régime. Comment ces diables de Bretons, du
fond de leur patrie désargentée, ont-ils pu se permettre d'user avec tant de
munificence d'un produit qui a toujours fait l'objet de rationnement ou de
marché noir? Ce que nous pourrions nommer le Breizh
paradoxe a une explication agronomique: au XIXè siècle, les terres
pauvres de Bretagne produisaient très peu de blé. Seul le sarrasin, céréale
moins gourmande, poussait en relative abondance, mais ce grain-là, excellent
pour les crêpes (en Bretagne, "galettes"), n'est par contre ni panifiable ni apte à la pâtisserie
car trop pauvre en gluten. En revanche, le beurre n'a jamais manqué en
Bretagne. Les futés pâtissiers (et ménagères, ne l'oublions pas!) bretons ont
donc imaginé des gâteaux dont le taux de farine de blé, ingrédient rare et cher,est
réduit au rôle minimaliste de "liant" au service du Roi Beurre qui
asseoit ainsi confortablement sa grasse suprématie. Sauf votre respect, voilà
qui me plonge le cul ...dans le beurre! Pas vous?
*flamand et bruxellois pour « gros
cou » ; l’équivalent français du melon ou de la grosse tête, et de l’anglais
« chevilles enflées »
Fortiches, ces Bretons? Il semble pourtant
qu'ils auraient trouvé en la personne de votre humble servante une rivale. J'ai
en effet créé une recette de petits-fours d'inspiration "terroir
breton" à défriser un attroupement de convives de cette même patrie:
Petites
galettes bretonnes, caramel au beurre salé
1) pétrissez 250 g de farine, 1 c
à c de levure chimique, 150 g de sucre, 150 g de beurre demi-sel et 2 jaunes
d'oeuf. Roulez en boudin (4-5 cm de diam), emballez sous film et réfrigérez 2 h
2)
allumez le four à 200°. Posez des tranches de pâte de 5 mm sur une plaque
recouverte de papier cuisson. Badigeonnez de caramel liquide (tout prêt) et
saupoudrez d'une pincée de fleur de sel. Enfournez jusqu'à belle blondeur
3) pour
environ 15 pièces, mélangez 150 g de beurre demi-sel mou, 150 g de sucre glace, une
belle rasade de caramel liquide. Dressez à la poche sur les15 moins belles
galettes (si tant est qu’elles le sont, les canons de beauté étant affaire de
chacun !), chapeautez des 15 restantes. Servez frais (la crème doit être
ferme) mais non glacé...et voilà, si prochainement on instaure dans nos pays la
prohibition du beurre, j'y serai pour quelque chose...pardon, mais c'est tellement
bon!
CHINE
DEPRIME, CHINE TARTINE
Jean-qui-rit ou Jean-qui-pleure, la Chine ne fait pas
exception à l'image; j'en veux pour preuve les deux anecdotes suivantes que
j'offre en pâture aux sagaces et gourmands lecteurs:
Lorsque vous cassez un oeuf
cru, vous aurez remarqué qu'au fond de chaque demi-coquille 1 ou 2 g de blanc
trop casanier reste farouchement collé. Seul le "doigt preste" de
Ragueneau peut déloger cet insolent reliquat.En Chine, ce geste anodin
constitue un métier. Il y a des usines pour ça! 12 h par jour, des ouvrières
traitent des milliers de coquilles pour recueillir dans de grandes cuves les
quelque 10.000 x 1 g de blanc rebelle. Je dis bien ouvrières, car il a
été constaté dans tous les pays, y compris les nôtres, que seules les femmes
ont la patience - et l'humilité requise - d'effectuer vite et bien des
tâches abrutissantes sans péter les plombs. Les féministes ont encore bien du
pain (sec) sur la planche! Pour ma part, j'utilise ce reste de blanc pour
badigeonner avant cuisson mes profiteroles et leur donner ainsi une cime aussi
ronde que le toit du Temple du Ciel à Pékin. Toujours est-il que chaque fois
que mon index va extirper ce petit rien-du-tout récalcitrant, je frémis en
pensant à ces malheureuses ouvrières chinoises...
Aaah, je vois que je vous ai
collé le moral dans les talons...pour me faire pardonner, voici à présent un
récit qui vous arracher un sourire tout en engraissant votre édification
personnelle:
La Chine communiste du début des années 70 reçut un soir une
délégation iranienne à un somptueux banquet au Palais du Peuple de Pékin. Pour
ce gueuleton entre copains, la Shabanou avait apporté l'entrée: du caviar de
première qualité, genre gros oscietre
gris, en quantité phénoménale. Tous ces politiques, ministres et diplomates -
dont mon père, de qui je tiens cette historiette - allaient accomplir un Grand Bond en Avant vers
leurs assiettes pour se repaître à l'envi de ces avalanches d'or gris...jusqu'à
ce qu'une inouïe catastrophe se produisît: jamais les cuisiniers chinois du
Palais n'auraient pu prévoir une telle débauche de caviar, et face
aux tombereaux d'oeufs d'esturgeon de la Caspienne, le pain vint à
manquer! ...et nos
"malheureux" convives de devoir se faire violence et déguster leur
provende à la petite cuiller entre deux gorgées de vodka...un peu comme si des
diamantaires anversois étaient à court de présentoirs ou d'écrins pour disposer
leur trop-plein de production, si vous voyez ce que je veux dire.
(publié dans Le Vif - Weekend début 2009, www.levifweekend.be)
je confirme, mon pépé mangeait du beurre en tartine à TOUS ces repas (en complément de son lard fumé...), tous...et ma mémé cuisinait TOUT au beurre (dans des proportions que la morale m'interdit de reproduire ici...) et je note la recette pour une fabrication sous peu :)) merci !
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