samedi 2 juin 2012

Linguistique culinaire ethnique comparée II

Clouche ou dollop? Vertus comparées, chapitre II

Avec une indécente fatuité, je subodore que je vous ai tous tant que vous êtes laissés pantelants de curiosité depuis une semaine après l'abrupte autant qu'inhumaine interruption de votre feuilleton de psycho-linguistique comparée. Me revoilà donc, exsangues lecteurs, avec la seconde partie de notre passionnante étude.
Après nous être penchés sur les mesures de liquide/fluide, intéressons-nous à celles des (semi)solides: de la confrontation entre notre clouche nationale ou du dollop* anglo-américain, que pouvons-nous inférer?
Pour commencer, est-il bien nécessaire de vous expliciter la clouche? Si malgré tout je réponds à cette question rhétorique, c'est juste pour le plaisir d'évoquer le tombereau de pickels qui s'affaissent avec nonchalance sur une portion de frites croustillantes...Ceci dit, gardons notre sérieux scientifique: si on l'associe souvent à quelque chose de gourmand, la clouche est bel et bien une mesure et peut donc aussi concerner un ingrédient diététique (voyez recette ci-après); de même que le dollop, bien qu'il suggère le plus souvent un ajout indécemment calorique, préconise parfois de politiquement correctes ponctuations de yaourt.
Un examen très poussé de notre vocable belge révèle l'extraction des mots "cuiller " et "louche" condensés, d'où l'indubitable abondance - si chère à notre gastronomie nationale - de la portion; alors que le dollop m'évoque a priori dollar: en effet, la pièce d'1 $ au très grand diamètre (+/- 4 cm) pourrait figurer celui de la cuillérée (avec monticule autorisé, toutefois, ce qui augmente aux 3D le volume de la ration!). Suite à cette dernière observation, les restrictions (pas trop sévères, concédons-le) quantitatives que suggère le terme anglais ne m'effraient pas outre mesure. Par conséquent, entre la clouche de mayo que nous déposons gaillardement sur notre tomate-crevettes, et le dollop de whipped cream qui fond lascivement sur la gargantuesque part d'apple-pie fumant, mon coeur et surtout mon estomac balancent..pas vous?

Ceci étant, et sans prétendre avoir fait le tour complet de la question, il me semble opportun de conclure notre brillante approche comparative des schloek/glug et clouche/dollop par la constatation que, si les 4 entités lexicales étudiées révèlent chacune une approche relax et décomplexée des proportions culinaires, "timide" voire "timoré" sont des adjectifs dont nos 2 idiotismes belges ignorent la signification!

* pour être exhaustive, je me dois de vous préciser que parfois la langue anglaise du Royaume-Uni utilise l'expression blob pour évoquer sa clouche; mais ceci est une autre histoire...

Tour de main

Testez donc vos connaissances en réalisant cette délicieuse et facile recette donnée par une amie israëlo-bruxelloise (comme quoi notre lexique est universellement approuvé!):

le pain au son de Michèle
"Tu prends 1 kg de farine et tu ajoutes 1 clouche de son et 4 cuillers à café de sel; mélange avec 1 cube de levure fraîche délayé dans un peu d'eau tiède puis pétris la pâte avec assez d'eau tiède pour obtenir la consistance d'une chique déjà chiquée (sic!). Dépose la pâte dans un moule à cake graissé, laisse lever puis cuis environ 1 h à four chaud."
Mes précisions: on peut remplacer la levure fraîche par 2 sachets de levure sèche (pas de levure dite "chimique"); la quantité totale d'eau est approximativement de 60 cl, et le temps de levée d'1 h (le volume du pain doit doubler; mon truc: mettez le moule dans le micro-ondes (éteint!!!) où la pâte pourra lever à l'abri des courants d'air et des variations de T°); au lieu de graisser le moule, chemisez-le d'une bande de papier-cuisson; enfin, vous pouvez remplacer tout ou partie de la farine par de la farine de blé complet (le pain sera alors plus compact).
A déguster de préférence tout chaud avec, cela va sans dire, une belle clouche de beurre frais...

Publié dans Le Vif – l’Express – Weekend en 2009 http://weekend.levif.be

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