vendredi 8 juin 2012

petit coup de gueule gourmand...


DICTATURES DIETETIQUES, UKASES CULINAIRES : DITES NON !

Commençons par mettre les choses au point : primo, comme nous tous, femmes ou hommes, jeunes ou un peu moins, je fais attention à ce que je mange. Eviter dans la mesure du possible l’excès de matières grasses et de sucre afin d’éviter de trouer le sol à chacun de mes pas, ou ne pas trop souvent imposer à mon foie de ramer comme un naufragé pour écoper cette écume de chantilly ou cette vague de beurre blanc qui fait chavirer son fragile esquif sur la mer de la gourmandise ; secundo, cela tombe sous le sens que vouloir obstinément concocter au creux de l’hiver un clafoutis aux cerises importées à prix d’or de Patagonie sub-orientale à dos d’Airbus A320 bien polluant, ou s’acharner à cuisiner des choux de Bruxelles en juin quand vous ne pourrez vous procurer que leurs avatars surgelés et flotteux, sont des tendances à éviter si l’on veut manger des plats qui ont du goût et qui ne renversent pas notre porte-monnaie à 180°. D’accord…
Manger sain, cuisiner saisonnier, tout cela est bel et bon, me direz vous. Certes, sauf que de nos jours ces préceptes vieux comme le monde et pleins de bon sens sont érigés au statut de tyrannie omniprésente, castratrice et, pire encore, culpabilisante à l’extrême. Et moi, je ne vous cache pas que ça me gonfle ; pas vous ?

Respect de la santé…

Ouiiii, vous comme moi savons bien que nous taper la cloche de gâteaux et glaces, charcuteries et chocolat, frites et autres naughty (vilains) aliments, comme disent si bien les anglophones, n’est pas bon pour nous ; même si j’en connais un bout je ne suis pas diététicienne, et vous ne l’êtes pas forcément non plus, mais sans entrer dans les détails nous sommes au fait de ce qui est sain dans notre assiette, et de ce qui est « moins sain » pour user de ces euphémismes dont notre époque du politiquement correct raffole tant. Et, oui, les diététiciens sont nécessaires et leurs préceptes sont à prendre en considération. Ceci dit, pour ma part je relativise selon deux points.

 Le premier : n’oublions pas que chacun d’entre nous possède un patrimoine génétique unique, et que nous ne sommes pas « égaux devant la nourriture » ! Moins hypocrite que la Déclaration des droits de l’Homme qui est bafouée pluri-quotidiennement, il n’existe tout simplement pas de déclaration des droits du gourmand (ou prosaïquement, du mangeur) : ce qui convient à Gaston ne réussit pas forcément à Alphonsine, et ce n’est pas parce que votre voisin vous a confié que lorsqu’il veut perdre 3 kg en 1 jour il se fait un bouillon de tiges d’orties cueillies à 5h33 précises du matin, que cela va fonctionner pour vous ; ou parce que votre tante Ursule assène que contre une indigestion rien ne vaut 1,5 litres de coca bu en 46 gorgées exactement, ce traitement de choc va opérer sur vous le même effet de nettoyage des Ecuries d’Augias. Traduction, c’est à nous d’apprendre à connaître notre corps et, l’expérience aidant, trouver ce qui lui convient le mieux ; en nous basant tout de même sur le B.A. – BA de la diététique, à vrai dire le seul consensus de cette science : éviter les excès de graisses, sucres, sel et alcool.

Le second : la déclaration pleine de bon sens et d’humilité faite récemment par un médecin anglais, spécialisé en diététique, dont j’ai hélas oublié le nom (merci à qui me le rappellera). Ce scientifique indique tout simplement que la diététique en est aujourd’hui au stade où l’était la médecine à l’époque de Molière – autrement dit, à ses balbutiements. Il suffit de constater les grandeurs et décadences de certains produits-phares des régimes minceur ou santé. Par exemple, la pastèque et l’ananas, plébiscités pendant des années comme fruits emblématiques de la sveltesse hollywoodienne, sont aujourd’hui montrés du doigt comme mauvais élèves parce que leur Index Glycémique est (dans leur catégorie) élevé ! Ou alors, une étude médicale très récente dont on vient d’annoncer les résultats il y a quelques jours à peine, remettant en question certains probiotiques jusqu’à présent encensés comme panacées pour renforcer les défenses immunitaires, parce que l’on aurait constaté sur un panel d’individus qu’ils pourraient être facteurs d’obésité… devant tant de tâtonnements, nous autres profanes sommes déconcertés, alors, ne nous prenons pas trop la tête quand nous lisons rouge aujourd’hui, car la même affirmation pourrait bien devenir verte demain… Attention, je le répète, ceci n’est nullement une critique ou un refus de la diététique, au contraire, je juge celle-ci indispensable, et espère qu’elle ira de progrès en progrès. Simplement, je ne constate qu’une chose : d’une part, on ne nous a jamais autant culpabilisés et « conscientisés » qu’à ce jour (avec des slogans récurrents du type «pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé » -comme si on ne le savait pas ! -  qu’on colle comme une sangsue à chaque pub pour un produit un peu trop bon, histoire de nous donner froid dans le dos) ; et d’autre part, on n’a jamais été aussi gros, aussi cardiovasculairopatraques, aussi diabétiques qu’aujourd’hui. Alors, y aurait-il un lien ? Et puis ne nous laissons pas faire, sinon bientôt nous devrons nous planquer dans les toilettes pour nous repaître d’une barre chocolatée ou d’un sandwich  rillettes-cornichons…

…du produit local, et des saisons

Cuisiner les produits d’ici, et de saison, c’est bien, c’est bon, c’est moins cher, c’est moins polluant : comme  dit plus haut, je suis d’accord. Cela ne m’empêche pas d’attraper des boutons quand j’assiste à des concours de chefs (en live, ou télévisés, ou en reportages dans des magazines culinaires) qui assènent qu’un plat n’est gastronomiquement estimable que si et seulement si (comme en maths) il est réalisé avec des produits locaux et/ou saisonniers. Poussé à l’extrême, ce critère reviendrait à encenser et à primer le participant qui propose une soupe poireaux-pommes de terre* parce qu’on est en novembre et en  France, et à reléguer à la nullité l’esprit créatif du chef qui présenterait en ce même mois un éventail d’asperges (qui en cette saison ne pourraient provenir que de l’hémisphère sud) à la maltaise de kumquats (qui ne peuvent être cultivés qu’en terre tropicale ou méditerranéenne). Je vous assure que j’ai un jour assisté à ce type de sanction obscurantiste : un plat présenté, qui à mon humble avis paraissait à la fois inventif et délicieux, avait été aveuglément et immédiatement descendu en flammes parce qu’il faisait appel à un ingrédient hors saison, hou ! au lieu de relativiser et de dire par exemple « plat innovant et savoureux, mais qu’il conviendrait plutôt de réaliser en saison ». Compte tenu de ce fascisme ambiant de la cuisine localo-saisonnière, j’applaudis ici des 2 mains le génial chef étoilé lyonnais Christian Têtedoie qui, dans son restaurant, va à contre-courant et propose toute l’année un dessert aux fruits rouges à sa carte, tout simplement parce que les gens adorent ça et que cela les rend heureux, faisant fi du critique-gastronomique-roquet-esprit-chagrin qui le poursuivrait en aboyant « éééh, c’est pas bieeeen, les frambouââââses c’est qu’en étééééé !!! ». 
*attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : j’aime la soupe poireaux-pommes de terre !
Vous pensez sans doute que je vous abreuve de mes récriminations pour me donner l’impression de participer au Grand Débat Cosmique ? Non non, l’opportuniste gourmande que je suis veut juste pouvoir de temps en temps se taper une belle assiette de fraises en janvier sans avoir l’impression de commettre un 8ème péché capital !

De tout ce salmigondis – pour rester dans les termes culinaires – nous pourrions retirer ceci : en cuisine, un des rares domaines où l’on puisse bavarder légèrement et amicalement sans s’étriper et se jeter des tomates à la figure (sacrilège ! c’est que j’adore ça, moi, les tomates !),  sans les ignorer totalement , ne nous focalisons pas trop sur les modes, les tendances, les « c’est bien / c’est pas bien » pour mieux nous consacrer à l’essence même de cet art si sympathique : la créativité, la gourmandise, la passion, et surtout, le plaisir !

Sur ces belles paroles, chers lecteurs gourmands, votre cuisinière s’en retourne à ses casseroles, jusqu’à  la prochaine fois…

1 commentaire:

  1. Bonsoir Juliette,

    merci pour cette déclaration des droits des gourmand -->le plaisir façon tata Juju !
    J'en reprendrai bien une clouche moi, patate par-ci poulet par là, le cordon bleu de la littérature à encore frappé ; Schloek d'applaudissements pour ce joli petit blog qui donne les crocs !!! hum Lekker ... Juliettte, ça existe une clouche de frites ?


    ps : Ce n'est pas Luc Méjean* qui dit que : " la diététique en est aujourd’hui au stade où l’était la médecine à l’époque de Molière." (je ne crois pas qu'il soit anglais, mais il dit grosso modo la même chose !)

    *J'ai trouvé ça sur un truc de la lettre scientifique de l'institut français pour la nutrition.
    Le titre c'est : La fonctionnalité alimentaire : illusion aujourd’hui, réalité demain .

    Culinairement, le Rouget !

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